Fort de ma désormais grande expérience en ski de randonnée en groupe (j'en suis à trois sorties en dix ans ! ), j'avais bien l'intention d'aller rapidement m'essayer à la rando en solitaire.
J'avais cependant prévu de passer une semaine de repos suite à un long week-end virussé.
Seulement voilà, je suis faible...
Ce matin mon collègue alpiniste m'annonce qu'il a découvert l'un de dernier spot à poudreuse encore skiable actuellement dans la région, au dessus du village de Sixt, sous les Frêtes du Grenier (ok, personne ici n'a jamais entendu parler de ce sommet, mais j'adore faire genre je suis spécialiste de la montagne). Il me vend une course tranquille, sur un itinéraire sécurisé, avec une descente de 800m (de D-) dans de la peuf (= de la neige poudreuse). Il me prête même sa carte IGN avec le tracé du parcours au stylo bille dessus. Vous ne connaissez pas la carte IGN ? Mais siiiii, souvenez-vous, c'est le gigantesque bout de papier impliable avec les noms des montagnes marqués dessus en trop petit pour qu'on puisse le lire après 45 ans. Il ne retrouve pas la trace GPS, pas grave, j'aime bien les cartes papier aussi.
De toutes manières c'est inutile, je n'ai pas le temps de faire du ski aujourd'hui, j'ai plein de trucs à faire cet aprèm...
Et puis finalement, de retour à la maison je règle rapidement mes obligations, et je sens que si je ne me bouge pas je risque de me faire une après-midi de canapé (ou pire de boulot !) alors qu'il fait un temps magnifique.
Après tout tant pis pour le boulot, le plus important n'est-il pas de profiter de la vie ?
Je saute donc -tardivement- dans la voiture direction Sixt et le hameau de Passy pour être plus précis. Bien entendu je suis seul sur le micro-parking. Il fait beau, pas trop froid (vers 0°C), il n'y a pas de vent, et encore pas mal de neige...
Je chausse les skis, j'enfile mon Arva (bien que je ne voie pas bien qui pourrait venir me chercher si je fini sous une avalanche), je démarre Strava en envoyant un beacon à mon épouse pour qu'elle puisse indiquer l'emplacement de mon corps aux secouristes, et zouuuu, à moi la montagne en solitaire !
Après une longue montée entre les chalets sur les pistes de la station abandonnée de Sixt, j'arrive au sommet du dernier télésiège.
Si jusque là il y avait un très grand nombre de traces de skieurs de randonnée, après le sommet de l'ex-station tout devient moins pratiqué. Je continue mon ascension en suivant une trace un peu au hasard. Je débouche alors sur un gigantesque couloir d'avalanche (des dalles de schistes gigantesques, très pentues et bien lisses, sur plusieurs centaines de mètre de dénivelé). Vu la taille des blocs de neige amoncelés en bas de la pente, j'imagine qu'il ne faut pas venir ici quand la neige est fraiche ou qu'il y a du vent: roulette russe assurée. Je me rassure en me disant que vu le peu de neige, tout ce qui devait tomber de la montagne était tombé depuis belle lurette.
C'est un peu flippant quand même, surtout pour un débutant comme moi. Je me souviens très bien avoir déjà regardé ces dalles de loin en été en me disant qu'il faudrait être totalement barjot pour aller là en hiver. Et aujourd'hui j'y suis justement... Je continue quand même de grimper sur la trace, mais j'ai perdu de ma superbe assurance.
Petit à petit le doute m'assaille. J'ai l'impression de prendre un cap qui ne mène pas à mon objectif. Ce couloir de la mort grimpe bien trop au sud, je dois changer de cap. Problème: il n'y a aucune trace qui permet de sortir de là. Je me lance donc prudemment à trouver un(e ?) échappatoire sur les côté, vers le nord. Hors des traces j'avance prudemment en m'aidant de la carte et en tentant d'anticiper au maximum mon itinéraire, pour éviter de me retrouver face à une falaise ou coincé au fond d'un vallon. Par excès de prudence, et un peu par fainéantise, je n'ose pas retirer mes peaux de phoques pour les petites descentes que j'aborde dans mon itinéraire bis. Je décide que je ne les retirerai que quand je serai sûr qu'il n'y a plus que de la descente.
Finalement j'arrive à retrouver la trace que j'aurais dû prendre à la montée. Je suis encore très loin du sommet que j'avais prévu, et le soir tombera bientôt. Tant pis pour la conquête des cimes aujourd'hui, je décide d'entamer la descente. J'enlève les peaux, je les range, j'attache les leachs, je bloque les chaussures... ça me prend un temps de fou par manque d'expérience, mais il fait bon, la paysage est à couper le souffle, et j'ai encore le temps, donc tout va bien.
J'attaque alors la descente dans une neige incroyable. Après des semaines sans chutes de neige, elle est toujours légère et agréable à skier. Pourtant je suis au soleil où elle aurait dû geler, fondre, regeler, refondre... moult fois pour donner un truc dur et immonde à skier, mais non. Mon collègue n'avais pas menti, je me régale ! Elle est sans doute restée dans cet état à cause du courant d'air froid qui descend du petit "glacier" qui surplombe la vallée. En tous cas c'est du bonheur absolu une neige pareil !
Je fais quand même quelques virages avant de m'apercevoir qu'un truc ne va pas: j'ai l'impression de ne plus savoir skier. Mes skis partent dans tous les sens, je contrôle kedal. En fait j'avais oublié de remettre les crochets de mes chaussures, donc je skiais sans aucune tenue.... encore mon manque d'expérience. Une fois le problème résolu, je repars le sourire au lèvre et le nez au vent (avec un beau coup de soleil dessus, et dans le cou, parce que je n'ai pas mis de crème solaire).
Mon pote m'avais bien indiqué un chemin pour la descente (au stylo sur la carte si vous vous souvenez), mais comme je ne suis pas parti du sommet, je dois faire quelques trajectoires hasardeuses entre les rochers et les sapins pour tenter de rejoindre le chemin qu'il m'a indiqué. Bien entendu ça ne rate pas : je me retrouve comme un c... face à une falaise infranchissables. Je galère un bon moment à descendre dans une foret de petits arbres pour tenter de la contourner. C'est plus de la marche en descente avec des skis que du ski, mais finalement je retrouve le tracé. A cette altitude la neige est redevenue très merdique : hyper dure, défoncée, inskiable (pour moi). Finalement je rejoins les pistes de l'ex-station par une piste à 4x4 gelée. La fin du parcours est pourrie, mais le paysage du soleil couchant remonte bien le moral.
J'arrive en bas des pistes à la tombée du jour. Un chien bouvier de la ferme du hameau m'accueille. Il hésite un instant entre me bouffer et jouer, mais finalement il se désintéresse de moi et part se rouler dans la neige.
J'enlève mes skis au dessus du parking, et au moment de décrocher la leach l'un d'eux m'échappe et dévale la pente à toute vitesse. Il passe à mach 2 sous le 4x4 du paysan garé là, et il va terminer sa course 50 m plus bas sur une place de stationnement. Je n'ose pas imaginer si cela m'arrivait au sommet d'une montagne...
J'arrête Strava, ou plutôt je démarrre Strava car j'avais omis de le démarrer (c'est le beacon qui m'a foutu dedans). Du coup je n'ai aucune idée de ce que j'ai fait. Je suis vert. Mais sur la carte j'ai calculé à l'arrache que j'avais dû faire dans les 800m de D+.
Bilan très positif au final. Du matos qui va bien. Des paysages magnifiques, de la bonne neige et sans croiser âme qui vive. Quelques galères qui se terminent bien. De bon souvenirs. C'était cool, je suis prêt à tenter plus gros maintenant !