Le kayak me fait de plus en plus penser au VTT. C'est un outil formidable de découverte de la nature. Hier j'ai pu l'essayer dans de nouvelles conditions pour moi.
Les lônes du Rhône c'est l'une des raisons qui m'ont poussé à essayer le kayak. Ces bras secondaires du grand fleuve sont des lieux de vie sauvage exceptionnels. Aller les explorer en kayak c'est un vieux fantasme qui m'a toujours habité. Aujourd'hui je profite d'une opportunité de taxi inespérée pour aller y balader mon Expression.
Au programme : départ du barrage de Champagneux, arrivée sous le pont d'Evieu 13 km plus loin (théoriques).
Après 1,5 km et un échouage -histoire de me rappeler mon manque d'expérience, des fois que je pêche par trop d'optimisme- je rentre dans la première lône. En quelques mètres je passe du puissant fleuve à un petit ruisseau paisible.
Le courant qui demandait une attention de tous les instants sur le Rhône, devient plus sage ici. J'avance maintenant dans une ambiance sauvage et calme. Sur un tronc d'arbre tombé dans l'eau, un cygne a fait son nid. Il partage l'endroit avec un énorme ragondin qui s'enfuit à mon approche. Le cygne drense, mais ne quitte pas son nid, et je quitte déjà la lône pour rejoindre le fleuve.
Je profite de ma toute première sortie en rivière pour emmagasiner de l'expérience. Je pars de zéro, il y a du boulot. Rapidement je comprend que le courant peut aussi bien être ton ami -quand il te donne un coup de main pour avancer ou qu'il t'aide à virer-, que ton pire ennemi - quand il t'envoie où tu ne veux pas aller, avec une énergie impressionnante-. Je comprend qu'il ne faut pas lutter contre lui, parce qu'il est le plus costaud. Il faut le comprendre, regarder loin pour anticiper où il veut t'emmener, et ne pas chercher à le contredire à tout prix. Et il n'a surtout aucune patience. Tu peux rarement lui dire : "Attends deux seconde, je regarde, je réfléchis, et ensuite on y va". Non, il faut décider ici et maintenant où tu dois essayer d'aller. Si déjà j'arrive à ne pas faire de grosses bêtises aujourd'hui, je serai satisfait.
Je poursuis ma balade le long des gravières. Je croise des dizaines d'oiseaux, des rapaces qui se battent avec des goélands, de petits limicoles, la flèche bleue du martin pêcheur qui fend l'air, des cormorans... C'est le genre de moment où l'on regrette de ne pas avoir assez potassé ses livres d'ornithologie.
Apres quelques kilomètres, et un nouvel échouage (j'ai des lacunes énormes en lecture de rivière), je vois le panneau qui indique l'entrée dans la grande lône de la réserve naturelle, et accessoirement qui permet d'éviter un seuil monstrueux sur le lit principal. On rentre dans la lône par un gué agrémenté d'un petit seuil. Vers le gué une vieille caravane est installée. Alors que je cherche un endroit pour débarquer et inspecter le gué, une charmante jeune femme sort de la caravane. Elle regarde autour d'elle, sans faire attention à ce qui se passe sur l'eau. Elle est à cinq mètres de moi. Elle me tourne le dos... et baisse son pantalon pour satisfaire un besoin naturelle. Moment de gène... Elle ne m'a pas vu... Je n'ose pas l'appeler pour lui crier : " attention mademoiselle, vous me montrez vos fesses !". Finalement c'est son chien patibulaire qui la sauvera en m'aboyant dessus. Elle se retourne alors et part en courant dans sa caravane. J'étais venu voir de la vie sauvage, mais je ne m'attendais pas à une telle rencontre
Je débarque finalement de l'autre côté du gué, où je casse une croûte frugale (il y a trop de courant pour que le chien de ma voisine traverse). Il fait chaud et beau, je suis au bord de l'eau dans la nature... Tout va bien.
Je passe le seuil du gué en portant le bateau, et je me retrouve rapidement dans ce que je pourrais appeler mon petit paradis. La lône est assez large, et le faible courant me permet d'avancer doucement sans donner un coup de pagaie. Je dirige le bateau du bout des mains, tout en douceur. Ici la nature est reine. C'est dans un silence impressionnant que je croise des cygnes et quelques gravelots qui fouille la vase à la recherche d'hypothetiques vermiceaux. J'hallucine en voyant un castor me croiser en me snobant pompeusement. Sous l'eau j'aperçois d'énormes poissons ( des chevesnes je crois ?) qui s'enfuient mollement sur mon passage.
Ici le courant est très variable. Il est parfois très lent, et parfois assez fougueux et tourmenté pour me demander une attention particulière pour diriger mon bateau déjà trop long pour cet endroit. Et ça ne s'arrange pas quand, à un embranchement, je choisis de suivre un petit lône qui me fait de l'œil.
Bien entendu je n'ai aucune idée de l'endroit où je me trouve. La réserve est un labyrinthe de lônes où la seule règle d'orientation que je me suis fixée est : "de toutes manières il faut suivre le courant".
Problème : la lône que j'ai choisi n'est vraiment pas grosse. Je racle un peu trop régulièrement le fond avec mon bateau. Pas grave, l'endroit est magique. Parfois je perd un peu le contrôle du kayak, quand le courant se fait plus fort et serpente dans le lit de la lône. Je prends alors conscience des dangers que représentent les arbres tombés sur l'eau. Le courant n'est pas freiné dessous, et ils représentent un obstacle infranchissable en bateau. Si je me retrouve coincé dessous je risque gros.
J'arrive encore une fois à un seuil. Il n'est pas haut, mais le courant y est suffisamment puissant pour rendre ma péniche incontrôlable. De plus le seuil est couvert de rochers infranchissables et de grosses branches. Heureusement je peux débarquer et l'observer. Comment franchir ce truc ? Je ne peux pas porter le bateau sans me casser le figure et finir à la baille. Si je laisse aller le kayak, il va se faire la malle et vivre sa vie sans moi. Il y a juste un passage où il pourrait passer, mais pas moi à pied. Je m'invente donc une technique sans doute déjà bien connue des kayakistes expérimentés. J'attache un long bout au bateau et je laisse ce dernier glisser dans le seuil. Ensuite je le "tiens en laisse" le temps de descendre à mon tour à un autre endroit. Ça marche !
Je repars dans mon petit paradis. Je surprends deux biches qui s'enfuient dans un bruit d'enfer quand elles écrasent les tiges sèches de renoueés. Et déjà je rejoins une plus grande lône, puis une plus grande, puis le lit principal du fleuve...
Ma balade se termine par un dernier exploit : débarquer sous le pont d'Evieu. En résumé : du courant fort, perturbé par les piliers du pont, avec comme seule espace de débarquement un minuscule escalier de 40 cm de large. On a le droit à une seule chance, et il ne faut pas se rater ! Avec une bonne anticipation, du sang froid, et la maigre expérience du courant que j'ai acquise aujourd'hui, j'arrive à débarquer sans encombres. Dans un dernier effort je hisse le bateau au sommet de la berge. Je suis fourbu et heureux. Je suis vraiment content de mon bateau. Même si ce genre de terrain n'est pas sa spécialité, il s'en est sorti admirablement. Pour toute récompense je lui ai apporté de nombreuses rayures supplémentaires... Désolé.
Les lônes ont tenu leurs promesses. J'ai passé un nouveau cap en navigant en rivière. Mais ça n'est pas fini, la semaine prochaine je découvre la mer !